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Dernier livre de Gilles Babinet et préface de La transformation digitale pour tous !

Alors que Gilles Babinet, co-président du Conseil National du Numérique, serial startupeur, vient de publier son nouveau livre Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet, nous vous livrons la préface qu’il a signé pour La transformation digitale pour tous !

Auparavant quelques mots sur son dernier livre à lire comme un roman éclairant

Celui-ci analyse avec des enquêtes à l’appui auprès de personnalités comme Louis Pouzin par exemple, le père du réseau Cyclades en France, comment l’idéologie dominante du moment (culture hippie et contre-coup de la guerre du Vietnam mais aussi des libertariens avec comme illustration le logiciel libre – éléments du reste évoqués dans Made in Silicon Valley) dans une société peut la façonner et guider ses choix technologiques ; ainsi que le rôle des investissements de la puissance publique, de la Défense (résilience du réseau Internet, guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS). Le livre est rempli d’anecdotes et mêle les époques que ce soit Blaise Pascal, le minitel, l’exaltation de la science-fiction et son côté obscur avec les dystopies (1984, Fahrenheit 451, etc.). La question qui se pose et en prolongement est comment la transition énergétique sera traduite dans les choix techniques et selon les prismes (wokisme vs techno-progressisme, étatisation forte vs libéralisme, etc.).

Dernier livre de Gilles Babinet, comment les hippiers, Dieu et la science ont inventé Internet

Préface de La transformation digitale pour tous ! par Gilles Babinet

Partout, dans chaque nation, la crise du Covid a été un extraordinaire révélateur de la puissance du numérique, qui nous a permis de rester connectés avec nos familles, nos employeurs, qui nous a diverti durant ces longues semaines d’isolation en nous permettant d’accéder au cinéma à la demande, à des jeux vidéos des plus sophistiqués, qui a été un outil pour commander nos courses alimentaires, nos plats préférés au restaurant. On n’ose à peine imaginer ce qu’aurait été cette crise sans le numérique. A l’évidence, elle se serait révélée bien pire encore.

D’ailleurs, dans certains domaines, comme pour ce qui concerne l’Education nationale, ça n’a pas marché, rendant d’autant plus acrobatique de maintenir la continuité éducative auprès de nos enfants, au grand dam des parents et des enseignants. Pour une minorité d’entreprises, l’impréparation numérique a tourné à la catastrophe, empêchant les collaborateurs de pouvoir travailler de chez eux, et faisant perdre de précieuses opportunités économiques. Dans tous les cas, cela ne fit que mettre plus en exergue la nécessité de faire muter plus sérieusement l’ensemble des organisations vers le modèle de demain. Un modèle plus numérique, plus résilient et évidemment dans le contexte de réchauffement climatique que nous connaissons, plus respectueux de l’environnement également.

L’enjeu reste complexe, discuté, et même parfois remis en cause tant il semble difficile de s’approcher de l’idéal décrit dans cet ouvrage. L’entreprise plateforme, la mobilisation de la donnée, la mise en œuvre de l’intelligence artificielle continuent à représenter des défis pour une vaste majorité des entreprises françaises même si incontestablement, quelques progrès ont été effectués.

David Fayon et Michaël Tartar sont, à mon sens, parmi les tout premiers dans notre pays à avoir saisi la nécessité qu’il y avait à créer des méthodologies propres afin de mener la transformation digitale au sein des entreprises traditionnelles. Et je ne compte plus les conférences, séminaires, débats où j’ai eu l’occasion de me trouver au côté de l’un ou de l’autre pour parler de ces sujets. Souvent nous avons défendu des positions communes, et plus souvent encore nous nous sommes attachés à alerter l’ensemble des parties prenantes – ­gouvernement(s), associations professionnelles, chefs d’entreprise… – sur l’enjeu impératif qu’induisait la digitalisation du monde. Ces prises de position étaient suffisamment fréquentes et alignées pour que, lorsqu’ils publièrent dès 2014 le premier ouvrage en langue française traitant de la transformation digitale et d’une méthode associée pour l’évaluation de la maturité numérique de toute organisation, ils me demandèrent d’en rédiger la préface, ce que je fis alors avec le sentiment de participer à une œuvre de salut public.

Huit ans plus tard, le panorama français a beaucoup évolué : la France a désormais mis en place un important dispositif pour rattraper son retard : lancement de la Banque publique d’investissement (Bpifrance), le plus grand fonds d’investissement européen ; réforme approfondie de la fiscalité pour faciliter l’investissement dans le secteur ; développement de la FrenchTech – une agence publique de soutien à l’innovation – mise en place de grands plans à l’égard de l’informatique quantique, de l’intelligence artificielle ; investissement important dans une infrastructure de fibre optique qui devrait permettre de finaliser l’engagement pris il y a plus d’une décennie de raccorder d’une façon ou d’une autre la quasi-totalité des foyers français à un débit supérieur à 30 Mb/s. Et cela complété par les initiatives privées : 42, l’école d’informatique d’excellence, et Station F, vanté comme le plus grand incubateur au monde, tous deux financés par le magnat Xavier Niel ; lancement de VivaTech, promu comme l’un des plus grands événements au monde dans le domaine de la technologie.

Si notre nation s’est désormais mise en marche, ce mouvement a eu lieu plus tard qu’en Israël, en Chine, au Royaume-Uni et bien d’autres pays. Qui se souvient de Tony Blair annonçant au tournant du millénaire que le Royaume-Uni allait tout miser sur Internet ? À l’époque, un important plan gouvernemental avait orienté les moyens de la nation vers le numérique, un mouvement que la Chine avait, de son côté, inscrit dans ses plans quinquennaux sous la houlette de Jiang Zemin, secrétaire général du Parti communiste chinois et ancien ministre de l’Électronique. Pour la France, les conséquences de ce réveil tardif se traduisent aujourd’hui dans de multiples indicateurs. Ainsi celui, certes subjectif, du nombre de licornes est cruel : la France en aligne 26, là où le Royaume-Uni en compte 37 et les États-Unis… 489 !

En ce qui concerne les entreprises traditionnelles, le baromètre de la transformation digitale eCAC, que je développe chaque année depuis neuf ans (à l’exception des années 2020 et 2021 en raison du Covid) avec le quotidien Les Échos, tend à montrer que les efforts restent à soutenir pour parvenir à transformer les grandes entreprises du CAC 40. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que la méthodologie d’évaluation que j’ai développée est en de nombreux points proche de celle qui est elle-même présente dans cet ouvrage. Ainsi les leviers (pour le modèle DIMM de ce livre : stratégie, organisation, personnel, offre, technologie et innovation, environnement) et leurs déclinaisons en indicateurs sont tout aussi bien présents dans cet ouvrage que dans mon modèle d’analyse. Ce baromètre, comme d’autres, montre donc que la digitalisation n’y est pas nécessairement en avance. Quant aux indicateurs internationaux, tel le digital economy and society index de la Commission européenne, ils placent la France à la quinzième position, sur 27 pays européens. Ce niveau n’est évidemment pas satisfaisant, en particulier au vu des politiques publiques déployées.

Tout cela n’est bien sûr ni enviable ni rassurant. Il n’en reste pas moins que la vitesse de l’évolution de cette révolution montre que les classements évoluent fortement. Des acteurs comme l’Estonie dont presque personne ne parlait au début de cette décennie sont devenus des références mondiales, tout au moins en ce qui concerne l’e-administration. Plus loin de nous, le cas d’Israël, où la technologie est devenue une part consubstantielle de l’économie, ou de Taïwan, véritable laboratoire asiatique de l’État en mode start-up, sous l’égide de la remarquable Audrey Tang, ministre du numérique de l’État insulaire.

A l’évidence, le sujet est bien celui de la transmission. Loin d’être une somme de techniques très identifiées, l’enjeu de la transformation digitale fait appel tout aussi bien à des compétences technologiques qu’à des « soft skills » managériales qu’il convient de maîtriser pour réussir.

Les entreprises françaises, disons-le tout net, ont eu les plus grandes difficultés à adopter le nouveau paradigme numérique, dans les derniers classements que j’ai pu effectuer, la progression absolue s’exprimait de façon presque marginale. En dixième de points (sur vingt) par rapport à l’année précédente. Néanmoins, plus que jamais, les déclarants reconnaissaient désormais que la capacité à modifier la culture de leurs organisations, le fait de travailler de façon plus intégrée via la data, avec leur écosystème ne sont plus des options mais bien des facteurs centraux de leurs feuilles de route.

Au-delà de cette dynamique technologique et managériale, il existe d’autres indicateurs à avoir à l’esprit lorsque l’on parle de transformation digitale. Je souhaiterais en citer trois, qui peuvent être particulièrement vertueux appliqués à notre pays.

Le premier, c’est la nécessaire évolution de la culture managériale et organisationnelle de notre pays. Pour beaucoup la crise du Covid a été l’occasion d’une remise en question profonde et pour certains d’un changement de vie. Télétravailler, aller vivre en province, se mettre en freelance, disposer d’horaires aménagés ont été quelques-unes des conséquences, souvent heureuses, permises par la crise du Covid et rendues possibles par le numérique. Il faut espérer que cette dynamique ne prenne pas fin et pour les employeurs, qu’ils y voient plus d’opportunités que de menaces. En repensant largement l’organisation du travail, branche par branche, on a probablement l’opportunité d’une considérable amélioration sociale et d’une croissance de la productivité, dans le même temps. Cela ne sera toutefois possible que si le pays fait un effort significatif en matière de maîtrise du numérique, un point sur lequel le classement DESI de la Commission Européenne ne nous place malheureusement pas bien, deux places en dessous de la moyenne européenne.

Le deuxième, c’est évidemment les enjeux d’environnement. En France, le débat a pris un tour particulier, et le numérique s’est retrouvé accusé de tous les maux, étant à l’origine de près de 7 % de la consommation d’électricité. On oublie néanmoins de dire que ses externalités positives sont considérables et que la productivité que le numérique amène rapportée à l’énergie utilisée est gigantesque. À une étudiante qui m’interpelait sur le fait que « quand même un smartphone consomme beaucoup d’énergie, je faisais remarquer qu’une journée revient à peu près à 8 h de charge à raison de 10 W soit 0,1 kWh soit encore en France 4 g de CO2. Ce qui équivaut à … 40 mètres parcourus avec une voiture d’aujourd’hui. En revanche, avoir un smartphone permet aussi de mieux utiliser les transports publics (en simulant différents trajets sur Google Maps par exemple), utiliser Blablacar (et donc bénéficier d’un siège qui autrement aurait été vide dans un véhicule et une somme d’autres usages vertueux).

Pour les entreprises, l’optimisation des supply chains (80 % des émissions de CO2 de l’industrie), le reshoring d’activité industrielle (trois fois moins émettrice de CO2 en France qu’en Chine), la meilleure affectation des actifs (un immeuble de bureau est en moyenne utilisé 22 % du temps dans l’OCDE) sont des opportunités qui ne peuvent être mises en œuvre qu’avec une expertise digitale significative. C’est pourquoi l’entreprise plateforme est du fait des contraintes climatiques, un enjeu qui devient plus encore incontournable.

Le troisième sujet est l’industrie 4.0. Longtemps évoquée comme une hypothèse, elle devient une réalité. Un Robot cinq axes semi-autonome a vu son prix baisser d’une facteur 5 en 10 ans. De facto l’industrie est en train de connaitre une très forte évolution qui voit sa part manufacturière diminuer de façon forte et le développement de produits commercialisés en mode « SaaS » croître fortement. Pour un pays comme la France, fortement désindustrialisé, mais disposant d’une main-d’œuvre assez qualifiée, c’est une réelle opportunité. Elle passe également par un niveau de maîtrise des sujets digitaux de haut niveau.
Cet ouvrage, La transformation digitale pour tous, Evaluez votre potentiel numérique, examine les mutations et la disruption tout en procédant à une analyse sectorielle. C’est pourquoi il est particulièrement vertueux et à recommander : d’une part, il s’attache à expliquer en des termes appropriés tant pour les managers d’entreprises traditionnelles que pour le middle management comment définir la cible d’une mutation digitale accomplie ; d’autre part, il indique comment mesurer l’avancement de celle-ci pour évoluer vers l’entreprise 3.0.

La démarche proposée par David Fayon et Michaël Tartar repose sur six leviers (Stratégie, Organisation, Personnel, Offre, Technologie et innovation, Environnement) avec une logique d’enchaînement dans les chapitres 4 à 9. Ceux-ci décrivent précisément le modèle et les exigences à satisfaire pour chacun des niveaux de l’ensemble des 115 indicateurs. Concrètement, la transformation digitale est la conjonction de ces leviers sur lesquels il convient de surperformer par rapport aux concurrents et à soi-même. En outre, la transformation digitale n’est pas seulement numérique avec big data, cloud, intelligence artificielle…, mais aussi organisationnelle avec aplatissement des structures, suppression des silos et place accordée à la collaboration entre les personnes. Elle est également liée à l’offre qui est à proposer de façon omnicanale, avec l’entreprise qui devient plateforme en développant des APIs pour capter tout un écosystème, notamment les données baptisées « or transparent » comme le mentionnent les auteurs. C’est aussi cette logique d’évolution des organisations vers les plateformes que je décrivais dans mon livre Transformation digitale : l’avènement des plateformes dont je suis en train d’écrire le successeur.

Le présent ouvrage est solidement constitué. Chaque levier est doté d’indicateurs afin de mesurer chaque situation. Par ailleurs, il est agrémenté d’interviews d’experts qui permettront à chacun de contextualiser ce que font différentes entreprises face à ce sujet. Des outils en ligne le complètent pour ceux qui souhaitent passer à la pratique. Il est pour cela à recommander à toutes celles et ceux qui voudront s’adonner à cet enjeu aussi nécessaire qu’indispensable pour emmener les entreprises européennes vers un modèle technologique et managérial compatible avec les dynamiques du XXIe siècle. Et – pourquoi pas ? – lutter efficacement face aux acteurs américains et chinois.

Des rapports évoquant la transformation digitale

Plusieurs rapports en lien avec le numérique ont été rédigés pour éclairer les ministres sur la transformation digitale de la société. Le plus emblématique est le rapport de Philippe Lemoine, La transformation numérique de l’économie française remis en novembre 2014 et qui cite le livre Transformation digitale parmi les ouvrages de référence.

Rapports en lien avec la transformation digitale

Mais nous avons également le rapport d’Henri Isaac sur l’université numérique remis en 2008, le rapport Colin et Collin de l’Inspection Générale des finances sur la fiscalité de l’économie numérique remis en 2013, le rapport Jules Ferry 3.0 du Conseil National du Numérique, remis en 2014. Ainsi que les rapports sur la grande école du numérique (2015), ambition numérique (2015) pour une politique française et européenne de la transition numérique par le CNN et remis au Premier ministre et transformation numérique et vie au travail (2015). Ces rapports sont disponibles en ligne au format PDF et facilement téléchargeables.

Il semblerait qu’une prise de conscience s’installe mais il convient désormais de concrétiser bon nombre des propositions effectives dans la société pour que le numérique soit également un puissant levier d’action pour le choc de simplification tant promis et très attendu.